Histoire de la création du Club
« Le jour où nous avons fondé le Club des Croqueurs de Chocolat » par Claude LEBEY
Propos recueillis par Irène FRAIN
« Cela s’est passé près de l’Étoile, rue Byron, en 1981, dans un restaurant aujourd’hui disparu, le Lord gourmand, qui appartenait à Nicolas de Rabaudy ». Je revois la table où nous dînions. A mes côtés, Maurice Letulle, notaire et ami d’enfance ; Philippe Court, alors directeur général des Champagnes Taittinger ; le maître des lieux, Nicolas de Rabaudy. Plus nos épouses respectives et Jean-Paul Aron, historien et chercheur au CNRS, passionné par l’histoire de l’alimentation et célibataire endurci.
« Le maître d’hôtel nous apporte la carte des desserts. Et là, stupeur, le choix est unanime : « Gâteau au chocolat ! »
Le gâteau en question était un Pleyel de Robert Linxe. Je m’entends encore lâcher : « Nous devrions fonder le Club des Cinglés du Chocolat ! » Autour de la table, comme pour le gâteau, approbation générale. Chacun se réjouit et opine du chef : « Excellente idée ! »
Tout aussi spontanément, je me tourne vers Maurice Letulle : « Il suffit de créer une association. Pourrais-tu t’occuper d’en déposer les statuts à la préfecture ? » Dans le même mouvement d’enthousiasme spontané, Maurice accepte. « Trois jours plus tard, toutefois, il me rappelle : « Je ne me vois tout de même pas aller déposer à la préfecture une association nommée « Club des Cinglés de Chocolat ». Ça ne fait pas sérieux. Pas à cause du chocolat. A cause du mot « cinglés »… Tu n’as pas une autre idée ? »
Je lui demande quelques heures de réflexion. Je les mets à profit pour en discuter avec Martine, ma femme. Elle se concentre un petit moment puis suggère: « Pourquoi pas le « Club des Croqueurs de chocolat » ? Je suis séduit. D’abord parce que l’appellation nous permet de garder l’abréviation C.C.C, qui me plaît. Et parce que le mot « Croqueurs » contient un des aspects essentiels du plaisir de l’amateur de chocolat. Je trouve aussi que le terme est drôle, qu’il a quelque chose de jubilatoire. En règle générale, dans la vie, il ne faut jamais se prendre au sérieux, surtout dans le domaine de la nourriture. Tout ce qui nourrit est forcément gai. Et le nom que Martine me propose me semble ludique et joyeux. Va donc pour les Croqueurs !
« Maurice Letulle dépose donc les statuts du Club et notre première réunion a lieu peu de temps après, au Grand Véfour, grâce aux bons offices de Philippe Court. C’est là, dans la salle du premier étage, que nous mis au point le règlement du Club.
« Ils n’ont pas varié depuis 25 ans, sauf sur un point : au lieu d’un rythme mensuel pour les réunions de dégustation, nous avons opté, à l’usage, pour un rythme bi-mensuel. Pour le reste, rien n’a varié, en particulier le nombre de membres. Nous l’avions déjà limité à 150.
« Nous avions commencé à huit membres. En moins d’un an, notre numerus clausus a été atteint. Ce succès foudroyant ne m’a pas surpris, même si, à l’époque, le chocolat ne tenait pas la place qu’il occupe actuellement dans la société française, ni pour la quantité consommée, ni pour sa qualité, ni pour la folle passion qu’il suscite. Mais cette vague de fond se préparait et pour peu qu’on soit attentif au monde de l’alimentation, on pouvait en percevoir les signes précurseurs. Ces adhésions massives et rapides ne m’ont donc pas pris de court. Adhésions massives et rapides.
« Le Club des Croqueurs a aussi suscité l’intérêt immédiat des grands professionnels du chocolat – Antoine Dodet chez Valrhona, tout particulièrement — et des artisans — je pense ici à Robert Linxe. Ainsi, le Club des Croqueurs est devenu en très peu de temps « la » référence en matière de goût-chocolat. Une audience d’autant plus grande que, dans nos choix, nos finances et notre organisation, nous n’avons jamais été liés à un quelconque artisan ni à aucun industriel. »